Le prix SFR Jeunes Talents reçu en 2012 lui avait ouvert les portes du Grand Palais pour une exposition exceptionnelle… Désormais, Aurélien Villette, 36 ans, est auteur-photographe à temps complet, spécialisé dans la photo d’architecture – et en vadrouille la moitié de l’année à la recherche de l’Esprit du lieu. Rencontre virtuelle entre deux voyages aux confins du monde pour s’interroger avec lui sur les Hommes et leurs besoins d’existence.

Théatre Cuba – 2014 ©Aurelien Villette

Rencontre

Comment la photo est-elle arrivée dans votre vie ?
En se joignant aux voyages… Qui sont eux-mêmes induits par mon besoin de “compréhension du monde” – du rôle des hommes, de leurs influences sur nos territoires, sur la planète. J’aime me définir avant tout comme un voyageur. J’aime aller là où les coutumes et les idées ne sont pas les mêmes que les miennes, me mettre en écoute de ce qui est perceptible avec mon propre vécu. Vivre à l’extérieur, perdre mes repères et mon organisation sédentaire parisienne. Ces voyages m’apportent toujours leur lot de remise en question et d’incertitude… Je reviens avec plus d’interrogations qu’en partant, c’est d’ailleurs pour cela que lors de mes discours, je préfère finir par des questions que par des conclusions ! Après avoir pratiqué différents types de photographies, j’ai choisi l’architecture comme spécialité, avec cette idée de présenter les constructions commanditées par l’Homme qui sont imposées par nos cultures, nos croyances et nos modes de consommation. Je pratique aussi la photographie de paysage, essentiellement avec des grands espaces.  

Diriez-vous que vous êtes également un photographe « urbex » ? 
Une grande partie des lieux que je visite ne sont pas à l’abandon – mon deuxième livre sur la ville de Tbilissi vendu en Géorgie, traite de son patrimoine . Je ne suis pas particulièrement en recherche d’adrénaline. Ce que je préfère ressentir, c’est la liberté qu’il y a dans un voyage en autonomie, tout en se souciant de moins en moins des choses qui nous font peur. Le lien que je fais avec l’urbex est que je suis particulièrement sensible à l’esthétique des ruines, mais finalement les représentations sur lesquelles je travaille sont assez lointaines de ce qui est usité en urbex. 

Loew’s Palace Theatre USA – 2016 ©Aurelien Villette
Ex Alumix Venise Italie – 2012 ©Aurelien Villette

C’est quoi « l’Esprit du Lieu » ?
C’est l’idée au cœur de ma démarche. L’analyse d’un lieu de par sa fonction et son histoire, la représentation du savoir-faire visible dans sa construction, la géolocalisation, le dialogue entre intérieur et extérieur… D’un point de vue pratique, ce sont les questions que l’on se pose lors d’une rénovation, pour savoir si celle-ci ne dénature par l’esprit originel du lieu. Pour mes photos, je garde cet élément en tête… C’est pour cela que le dialogue avec l’extérieur est si présent. Pour certaines de mes séries, comme Dogma, le choix même des lieux dépend de cette volonté de mettre en avant l’évolution des territoires… Pour, encore une fois, se poser des questions sur nos comportements.

Et comment fait-on lorsque l’on se retrouve avec une multitudes d’autres photographes au même moment sur un même lieu ?
Alors, quand on visite Pompei ou Petra, comme nombre d’autres hauts points touristiques dans le monde, il est forcément plus difficile de faire des photos en comparaison des lieux perdus dans la nature. Mais il y a plein d’astuces comme les filtres ND, les poses multiples avec superposition des calques en post-prod…

Sanatorium Tskaltubo Georgie – 2013 ©Aurelien Villette

Est-ce que vous aimez retourner dans des lieux pour voir leurs transformations ?
Tout à fait. Lorsqu’ils tombent en ruines, lorsqu’ils sont dégradés, rénovés ou transformés par l’intervention de l’homme… Ou quand la nature reprend ses droits. Ces modifications rentrent parfaitement dans ma démarche autour de l’esprit du lieu.

D’ailleurs n’est-ce pas difficile de toujours trouver de nouveaux endroits ?
Au contraire, tout est fait pour qu’ils soient de plus en plus facilement trouvables, notamment grâce à internet… C’est sans compter les articles qui relatent l’histoire d’un territoire et qui laissent entrevoir le potentiel. Et puis il y a tout ce qui est trouvé au cours d’un voyage… C’est inépuisable.

Immeuble d’habitation Pologne – 2013 ©Aurelien Villette
Jordanie – 2019 ©Aurelien Villette

Côté technique, comment ça se passe ? Il y a quoi dans votre sac ?
Cela va dépendre de mon mode de voyage. Lorsque je suis à pied, j’essaie de faire des économies de poids car j’ai toujours besoin d’affaires pour moi, une tente, un duvet et quelques ustensiles du quotidien. Côté matériel photo, un D850 avec 14-24 2.8 et 24-70 2.8 au minimum, à monter sur un trépied en carbone léger. A cela s’ajoute, pour l’autonomie, un videur de cartes, un disque dur, quatre batteries, une torche, une frontale, des câbles et des chargeurs. Je n’ai pas de sac photo mais un sac de rando plus léger… J’ai donc un sac à l’avant avec le matériel photo (environ 7 kg) et l’autre à l’arrière (8 kg). Les choix sont probablement perfectibles mais le matériel photo reste très lourd… Quand il ne s’agit pas de voyage à pied, je peux ajouter un 70-200 doubleur et un 24 Pc-e.

Vous êtes plutôt lumière artificielle ou lumière naturelle ? Pourquoi ?
Mes photos d’architecture sont pour la quasi-totalité faites en lumière naturelle, mais je teste aussi beaucoup de types d’éclairage. J’ai des panneaux led, lampions, torches, j’utilise même parfois des bougies chauffe-plats. Les leds sont réglables en température couleur, beaucoup de lumières ont l’angle du faisceau réglable. Les sources en flux continu sont de plus en plus légères avec le LED même en voyage, cela décuple donc les possibilités.

Ruine monastère Arménie – 2018 ©Aurelien Villette
Lower Station Mtatsminda Georgie – 2017 ©Aurelien Villette

Cherchez-vous à obtenir une image très proche du résultat final, ou au contraire passez-vous beaucoup de temps sur les retouches ?
Tout dépend de mes séries. Pour certaines, comme Topophilia, même si la structure des espaces n’est pas modifiée, je travaille beaucoup sur les couleurs et les lumières. Ce qui n’est pas du tout le cas d’autres séries comme Voyage Hétéroclite, où tout est rendu très neutre, et peut paraître plus proche de la réalité… Mais au final il y a du temps passé pour « nettoyer » les prises de vue.

On me dit souvent que l’appareil photo ne fait pas le photographe, qu’un artiste peut prendre de très belles images avec un appareil jetable. Vous partagez ce point de vue ?
C’est toujours pareil, tout dépend de ce que l’on veut faire et des besoins techniques du projet… Le potentiel de chaque outil est immense. Faire des choses artistiquement abouties est tout à fait possible avec un appareil jetable. Pour ce qui me concerne, j’ai des séries de photos plus ou moins contraignantes techniquement. Parfois, le téléphone portable aurait pu suffire. Mais quand une photo est vendue en 150 cm voire parfois 300 cm, le besoin de détails est forcément important, donc impossible d’utiliser un appareil jetable…

Eglise Russie – 2018 ©Aurelien Villette
Villa Italie – 2012 ©Aurelien Villette
Kirghizistan – 2016 ©Aurelien Villette
Escalier dans immeuble Naples Italie – 2017 ©Aurelien Villette
Ancienne télécabine Japon – 2019 ©Aurelien Villette

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Auteur

Journaliste, Curieuse, Baroudeuse, Couteau Suisse. Passionnée par le cinéma, la littérature, la photographie et la contre-culture. Bref, lire, écrire et courir, mais pas les trois à la fois parce que ce n'est pas pratique.

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