Elle n’était pas encore sortie du lycée que les connaisseurs voyaient déjà en elle un petit génie de la photographie… Découvrez les portraits de Berta Vicente, une jeune catalane au regard, à la singularité – et la maturité – à toute épreuve.

Comme le disait Corneille, parfois, « la valeur n’attend point le nombre des années ». Une citation qui sied à merveille à Berta Vicente, qui, à seulement 18 ans, remportait le Sony World Photography Award catégorie portrait. Soit deux ans seulement après avoir commencé à s’y mettre sérieusement… Sélectionnée parmi plus de 5000 candidatures, elle coiffait alors sur le poteau les deux autres finalistes, Alecsandra Dragoi, de Roumanie, et Xu Wei Shou, de Taiwan. Un prix prestigieux qui, forcément, lui ouvrit grand les portes du monde artistique – sachant que la demoiselle ne sortait pas de nulle part, puisqu’en 2011, ses portraits avaient déjà tapés dans l’oeil des organisateurs du festival Emergent de Lleida. A 16 ans, donc.

« Je me sens plus confiante un appareil photo à la main. »

Tout, dans son travail, semble toucher à l’intime. Oscille entre délicatesse et mélancolie. Fragilité et sensualité. Douceur et solitude. Spleen et élégance. Magnétisme et silence… Avec ce quelque chose qui montre à voir les blessures profondes, cachées mais toujours présentes. Née à Barcelone en 1994, la demoiselle se souvient avoir reçu un Polaroïd le jour de ses huit ans. Mais c’est seulement adolescente que le virus la contamine entièrement… Entre temps, son rêve absolu est de devenir danseuse, alors elle s’y donne corps et âme, jusqu’à l’extrême, au point de frôler le drame en tombant dans l’anorexie.

« Je voulais passer à un rythme inhumain et j’ai pris de mauvais raccourcis. La danse a fait de moi ce que je suis ; c’est le meilleur professeur que j’ai jamais eu. Si mes photos sont visuellement agréables ou esthétiques, c’est en partie grâce à la danse. Surtout en ce qui concerne la sensibilité, la beauté – la perfection. Je suis perfectionniste et si je crois que quelque chose peut être amélioré, j’essaie de faire mieux. Je pense que cela vient du ballet. Aujourd’hui… Il m’arrive encore de danser. Mais j’aime surtout la photographier à présent. »

La photographie est arrivée dans sa vie comme une échappatoire, une issue de secours dans cette impasse physique et psychologique. Ainsi, c’est vers 14 ans qu’elle commence à prendre ses ami.e.s en photo avec le téléphone portable que lui ont offert ses grands-parents. Elle les guide pour poser, imagine des mises en scènes, des mises en lumière. Son regard sur le monde commence à changer. C’est le déclic. « Il n’y a pas d’image spécifique qui aurait marqué un avant et après… Simplement, à 16 ans, j’ai eu la chance de constater que faire des photos était ce qui me rendait vraiment heureuse… Alors j’ai fait en sorte que ce soit la photo qui rythme ma vie. » Elle économise pour acheter ce qui deviendra son appareil de prédilection : le Canon 60D.

DES VISAGES, DES FIGURES

Car oui, lorsqu’elle reçoit son fameux prix, Berta Vicente est autodidacte. (Oui.) Plus tard, elle étudiera le multimédia et la photo, mais à l’époque, la jeune femme se fait toute seule, petit à petit, en se basant sur ses erreurs. « Par contre, j’avais la chance d’être entouré de gens à qui demander en toute sérénité. » Elle aime le travail de Michael Chelbin, Saly Mann, Annie Leibovitz, Richard Avedon. A du tempérament à revendre. « La photographie m’a appris à regarder et à penser différemment. A comprendre que si vous aimez vraiment quelque chose, vous devez continuer à le faire. Et que rien ni personne ne doit vous arrêter. »

Ce qu’elle aime plus que tout, ce sont les portraits. Capter le regard de l’autre. Aussi parce que la photographie lui permet de se rapprocher de son entourage, de mieux le connaître, l’appréhender. Mais aussi de rencontrer des inconnus – et c’est cette intimité qui se crée entre l’artiste et son modèle qui la transporte réellement. « Je suis attirée par les gens. Je les aime. Ils sont fascinants. J’adore ce moment où, dans la prise de vue, je prends conscience de ce qu’ils sont en train de me donner. » Et c’est sans doute cette capacité à capter, à capturer une émotion qui rend ses portraits tout à fait singuliers. Son engagement, aussi, surement.

« J’aime penser la photographie, la dessiner dans mon esprit, avoir toute la liberté de l’inventer… »

Ainsi, par la suite, Berta Vicente a réalisé une série d’images pour la Generalitat de Catalunya, photos-témoignages de la guerre de Sécession. Puis elle s’envole au Mexique, rencontre une culture, donne des cours de photo à la prison de Ciudad Juarez – connue pour être l’une des villes les plus dangereuses du monde. Elle a tire une série d’images, « Centro Penintenciario de Menores, Ciudad De Juarez Mexico ». Elle tombe amoureuse de la culture mexicaine, voyage dans tout le pays pour la documenter. Laisse faire les rencontres.

LA COULEUR DES SENTIMENTS

Côté technique, Berta Vicente s’adapte à son sujet, à l’émotion du moment, à ses préférences de l’instant. Elle utilise aussi bien le numérique que l’argentique, la couleur que le noir et blanc. Mais toujours avec une intensité sombre, quelque soit le modèle ou la technique employée. « J’aime les photos sombres, non seulement les photos que je fais mais aussi celles des photographes qui m’intéressent. La lumière diffuse, la lumière douce. Avec la lumière naturelle, je me sens à l’aise. »

Née au coeur de la fameuse génération Y, la jeune femme est pourtant peu active sur les réseaux sociaux. Elle a bien un Instagram et un Facebook, mais elle les alimente avec (grande) modération. « Avec les réseaux sociaux, vous atteignez beaucoup de gens et c’est flatteur. Mais d’un autre côté, ils interfèrent dans votre manière de créer, et ça, c’est dangereux. Avant, j’avais ce besoin de les partager sur les réseaux… Jusqu’au moment où je me suis rendue compte que si une image n’avait pas de succès, automatiquement, je finissais par moins l’aimer. Alors maintenant, je fais beaucoup de photos que je ne montre pas. Je ne veux pas que ma relation avec mes images soit si fragile. Qu’elle dépende de l’approbation des autres. » Quand on vous parlait de maturité…

Plus d’informations sur Berta Vicente sur son site web.

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Auteur

Journaliste, Curieuse, Baroudeuse, Couteau Suisse. Passionnée par le cinéma, la littérature, la photographie et la contre-culture. Bref, lire, écrire et courir, mais pas les trois à la fois parce que ce n'est pas pratique.

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