Avec beaucoup d’imagination et un peu de Photoshop – ou l’inverse, aussi, parfois – la photographe américaine Brooke Shaden a su créer un univers enchanteur tout à fait unique, proche du pictural, où la lumière se mêle à l’obscurité. Décryptage. 

Spirit ©Brooke Shaden

« Je ne pourrais pas vivre sans imagination… Je pense que les gens oublient souvent que l’imagination est un outil, comme un appareil photo ou Photoshop. C’est la source de tout ce qui est possible et apparemment impossible. »

C’est par le cinéma que la jeune Brooke Shaden a découvert la photographie. Née en 1987 près du pays Amish à Lancaster, en Pennsylvanie, celle qui se définit elle-même comme « une petite âme créative intensément anxieuse et puissante », a grandi au milieu de la nature, dans une famille où l’imagination avait toute sa place. Adolescente, elle étudie le cinéma et la littérature anglaise à la Temple University, à Philadelphie… Elle s’y passionne pour la narration, les histoires, l’écriture sous toutes ses formes.

« Aussi loin que je me souvienne, j’ai eu des rêves éveillés ou des cauchemars. Lorsque j’ai pris un appareil photo pour la première fois, j’ai eu l’impression que la photographie et Photoshop me permettraient de faire face à mes peurs et d’aider les autres à avoir un aperçu des visions surréalistes dans ma tête. J’avais toujours aimé faire des courts métrages, mais je me suis dit que je pouvais distiller le noyau d’un court métrage en une seule image. En plus de raconter une histoire, j’utilise souvent des photographies pour explorer de nouveaux mondes, où des secrets se dévoilent. En utilisant des techniques picturales, je suis capable de créer des expériences d’un autre monde. »

The world above ©Brooke Shaden

IL ETAIT UNE FOIS

Afin de se libérer des contraintes de la production en groupe, Brooke Shaden s’essaye donc à la photographie un peu par hasard. « Plutôt que de demander à toute une équipe de donner vie à ma vision, je pouvais tout créer par moi-même. Pour moi, la photographie représente la liberté. Absence d’obligation sociale, absence de collaboration et liberté de m’exprimer de la manière qui me convient. J’ai toujours aimé créer seule, parce que ma vision a toujours été singulière. Mais que ce soit pour un film, une photo ou une histoire, je crois que l’obscurité et la beauté sont toujours au centre de nos préoccupations. » 

The sound of flying souls ©Brooke Shaden

Elle se lance alors dans l’autoportrait, non pour l’aspect autobiographique, mais bien pour garder cette fameuse liberté qui lui est si chère. A la fois créatrice, metteur en scène et actrice principale de ses oeuvres, elle peut ainsi laisser parler son intuition sans avoir à rendre de compte.

Elle réalise ses shooting seule, dans un laps de temps relativement court – chaque séance dure une quinzaine de minutes. Pas de lumière supplémentaire, pas d’accessoires ajoutés : elle fait avec les éléments de l’environnement qu’elle a soigneusement choisi en amont. Souvent d’ailleurs, le lieu est naturel, neutre ou abandonné, comme une page blanche où tout peut être ré.inventé.

Elsewhere ©Brooke Shaden
Quiet the night ©Brooke Shaden

LA SCIENCE DES RÊVES

« La photographie traditionnelle promet de représenter la vie telle que nous la ressentons et la voyons. Prendre une image littéralement fidèle à la réalité et la manipuler, que ce soit à l’aide de la scénographie ou de Photoshop, revient à prendre le contrôle de la réalité. J’aime être capable de capturer ce qui est devant moi et de manipuler cette scène pour refléter ma façon de voir le monde. Mon travail est en grande partie inspiré par ce désir de créer le monde dans lequel je souhaiterais vivre. Visuellement, mon style est sombre, troublant, surréaliste et pourtant fondé sur la réalité. »

Un univers onirique où se mêle les contes enchanteurs de l’enfance et les angoisses secrètes de l’artiste, la mort comme synonyme de destruction mais aussi, parfois, de renaissance. Le tout flottant dans une poésie propre à chaque cliché.

Limitless ©Brooke Shaden

TOUCHE ET RETOUCHE.S

Ce qui fait également toute la force du travail de Brooke Shaden, c’est évidemment sa maitrise parfaite de Photoshop… Un logiciel qu’elle a appris à utiliser plus ou moins toute seule, à force de tests et de tutoriels sur le web.

« Je passe au moins deux heures – et parfois jusqu’à 10 heures – à travailler sur une seule photo. Mon outil préféré, ce sont les courbes. Cela ne semble peut-être pas très excitant pour certains utilisateurs de Photoshop, mais pour moi, changer la couleur, le contraste, la luminosité et l’obscurité d’une image me permet de créer de nouveaux mondes.

J’utilise d’autres outils pour créer un forme de signature, comme « Réduire le bruit », l’un des rares filtres que je vais utiliser, ou « Remplacer la couleur ». D’une certaine manière, j’utilise Photoshop comme un pinceau… Et ce logiciel m’a vraiment aidé à devenir l’artiste que je voulais être. » Pas étonnant, donc, que ses photos aient des allures de tableaux, et qu’il soit parfois délicat de situer la frontière entre les deux. Le format joue sur cette ambiguïté également, la photographe ayant choisi de travailler exclusivement sur du carré – ce qui est devenu depuis sa petite marque de fabrique.

Release ©Brooke Shaden

THE SOUND OF SILENCE

 « Mon point de vue sur ma carrière est très similaire à celui de ma vision de Photoshop à mes débuts. J’y suis allée en pensant: « Si les autres peuvent le faire, je peux le faire aussi »… On ne m’a jamais appris à être photographe ou à diriger une entreprise, mais je sais ce que je veux et comment y aller. À mon avis, ce sont les principes directeurs les plus importants qu’une personne puisse avoir, dans sa carrière et dans la vie. 

Et puis dites vous que ce que vous avez à dire est important pour quelqu’un. Vous ne savez peut-être pas qui est cette personne ni comment vous allez l’affecter, mais soyez assurés que votre voix doit être entendue par quelqu’un. » C’est ce que l’on appelle un joli leitmotiv.

Speck ©Brooke Shaden
Rapt ©Brooke Shaden

En savoir plus sur Brooke Shaden :

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Auteur

Journaliste, Curieuse, Baroudeuse, Couteau Suisse. Passionnée par le cinéma, la littérature, la photographie et la contre-culture. Bref, lire, écrire et courir, mais pas les trois à la fois parce que ce n'est pas pratique.

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