Il y a ceux qui veulent photographier le monde tel qu’il est… Et d’autres, comme le suédois Erik Johansson, plutôt comme ils l’imaginent… En l’occurence façon puzzle à la Salvador Dali parsemé de références à l’enfance. Brillant ! 

« J’ai toujours vu la photographie comme étant « simplement » une question d’être au bon endroit au bon moment. Un truc accessible à tous. Du coup, quand j’ai commencé à m’y mettre, j’ai voulu m’en servir pour créer quelque chose de différent. Capturer une idée plutôt qu’un instant. » Au premier coup d’oeil, on ne sait pas ce qui frappe le plus dans le travail d’Erik Johansson. Est-ce le côté surréaliste de la scène ? Ou, bien au contraire, le réalisme des détails ? Ce qui permet d’ancrer l’image dans une sorte de « réalité parallèle » – ou cette « réalité parallèle » en elle-même ?

La réponse est sans aucun doute purement individuelle – et l’artiste-photographe-plasticien s’en amuse d’autant plus. « D’ailleurs est-ce vraiment de la photographie ? » demande-t-il, sourire dans la voix, en ouverture d’un TED auquel il participa à Londres à l’automne 2011.

Un homme est en paddle sur un lac, qui au premier plan est transformé en morceaux de miroirs brisés.
© Erik Johannsson

JUST MY IMAGINATION

Erik Johansson a 15 ans lorsqu’on lui offre son premier appareil photo numérique. Déjà passionné de dessin sur ordinateur, il prend alors rapidement conscience qu’un nouveau monde s’ouvre à lui… Un univers où il peut donner vie à son imagination foisonnante, pour peu qu’il apprenne à utiliser les outils disponibles. Alors, à force de persévérance et de tutos sur le web, le jeune passionné devient un demi-Dieu de Photoshop – merci l’internet moderne comme dirait l’autre.

Car, en bon autodidacte affirmé, pour lui, tout n’est qu’affaire d’expérimentation, de tests, d’essais… De travail acharné. Et sans aucun doute, aussi, de motivation. Car si en 2010, il sort diplômé de l’Université de technologie Chalmers à Göteborg, en tant qu’ingénieur en UX design, il choisit pourtant rapidement de mettre de côté son master pour se consacrer à son art. « Tous les outils sont à notre disposition, et la seule chose qui nous limite c’est notre imagination. »

un vélo sur route de campagne, qui dans l'hiorizon s'ouvre comme une fermeture éclair
© Erik Johansson

Et le moins que l’on puisse dire, est que la sienne carbure à cent à l’heure (voire un peu plus.) Une « réalité » emplie de poésie, d’onirisme, de magie, façon contes pour (grands) enfants… Des illusions d’optique où logique, perspective et rationalité sont mises à rude épreuve. L’envers devient l’endroit, le haut et le bas s’inversent et réciproquement, parfois dans une répétition sans fin. On ne sait plus si l’on doit tourner la tête, ou le regard, ou l’image – ou s’il faut accepter cette « distorsion » de notre réalité comme ce qu’elle est.

« J’adore l’idée que le spectateur soit forcé de prendre un temps pour réaliser où se cache la ruse. » Aussi parce qu’Erik Johansson ne part pas d’une image unique, mais d’une multitude (parfois une centaine (!)), qu’il combine les unes avec les autres, couche par couche. Des photos qui, séparées, non rien d’anormales, mais qui assemblées racontent une histoire. « Il s’agit de combiner des réalités différentes pour en créer une nouvelle. » 

deux agents d'entretien changent la lumière de la lune avec différents modèles dans leur camionnette
© Erik Johansson

PUZZLE DE LA RÉALITÉ

Une fois les barrières mentales envolées, on flotte quelque part entre Alice au pays des merveilles, Le Petit Prince et Tim Burton, Salvador Dali, M. C. Escher ou Man Ray. Le temps qui passe, la force de l’inconscient, le pouvoir des rêves… Autant de thèmes de prédilection qui parsèment son monde sombre et coloré, drôle, triste et plein d’espoir à la fois. Mais si ses scénarios sont toujours fantastiques, ils sont aussi, et c’est sans doute leur plus grande force, visuellement plausibles.  

Pour se faire, Erik Johansson s’impose un long travail de préparation et de planification. Chacun de ses projets commence par une idée, dont il fait des croquis, en visualisant, déjà, un maximum de détails. « Je veux créer un environnement ludique où l’œil peut errer et découvrir de nouvelles choses partout… Le but est de lui donner un aspect aussi réaliste que possible même si la scène contient des éléments impossibles. En fin de compte, tout se résume à la résolution de problèmes, à la recherche d’un moyen de saisir l’impossible. »

au premier plan, un gardien de phare avec une immense ampoule, à l'arrière plan le phare, éteint, dans la nuit
© Erik Johansson

Pour lui, ce sont les détails qui rendront l’image « vraisemblable », les petites choses du quotidien qui nous rattachent à la réalité, celles auxquelles on ne prête pas forcément attention. Tout doit être pensé avant le.s shooting.s : il lui faut anticiper les problèmes qui pourraient arriver à l’assemblage. La perspective et la lumière, par exemple, doivent être rigoureusement similaires sous peine de fausser l’image finale. « C’est l’étape la plus importante car elle définit l’aspect général de la photo, c’est ma matière première. Elle peut durer de quelques jours à plusieurs mois, parfois des années… »

La deuxième partie, c’est le shooting en lui-même. Aucune photo type archives ou autres : Johansson réalise sur place l’ensemble des éléments qui constitueront l’image finale, ce qui lui assure un contrôle total. « Cela me limite dans le sens où je ne peux pas forcément réaliser toutes les idées que j’ai… Mais les limitations sont parfois bonnes pour définir le travail. »

LE MAÎTRE DES ILLUSIONS

Enfin, la dernière étape consiste à assembler les photos façon puzzle, ce qui peut prendre « quelques jours à plusieurs semaines. C’est en fait la partie la plus facile si j’ai fait du bon travail lors des première et deuxième étapes. C’est comme un casse-tête, j’ai toutes les pièces, j’ai juste besoin de les assembler. » Côté matériel, l’artiste est complètement transparent – d’ailleurs son site est riche en « Video Behind the Scenes » bourrées de trucs et astuces.

une femme marche de dos avec une valise sur une route de campagne, derrière elle la route s'effrite
© Erik Johansson

Petite liste non exhaustive, pour vous faire une idée :
Appareil photo : Hasselblad H6D-50c
Objectifs : Hasselblad 24mm, 35-90mm, 50mm, 120mm
Lumière :Elinchrom RX, flashes Canon Speedlites, « le soleil »
Moniteur : Eizo Coloredge CG318-4k
Ordinateur : PC domestique, Windows 10
Logiciels : Adobe Photoshop CC et Adobe Lightroom

Pour en savoir plus sur le travail du bonhomme, n’hésitez donc pas à faire un tour sur son site, très complet… Il y propose même les playlists electro qu’il écoute en phase de post-production (!) Enfin, pour aller encore plus loin, il a sorti un livre est sorti en 2016, Imagine, aux éditions Weldon Owen, où l’on peut retrouver ses « idées surréalistes réalisées de manière réaliste avec une touche d’humour. » Nous n’aurions pas mieux dit.

un énorme poisson porte une ile sur son dos
© Erik Johansson
un paysage brumeux se reflète dans un lac, un bateau est suspendu à lia verticale sur le reflet
© Erik Johansson
un homme traine une route derrière lui, comme un drap gris
© Erik Johansson
Paysage onirique, sept maisons forment un pont entre deux monticules de pierres
© Erik Johansson

En savoir plus sur Erik Johansson : site web

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Auteur

Journaliste, Curieuse, Baroudeuse, Couteau Suisse. Passionnée par le cinéma, la littérature, la photographie et la contre-culture. Bref, lire, écrire et courir, mais pas les trois à la fois parce que ce n'est pas pratique.

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