Est-ce le genre qui définit l’individu ? Est-ce la société, le regard de l’autre ? Dans une étonnante série de double portraits rassemblés sous le nom d’Henkō, le photographe italien Massimo Giovannini offre un éclairage troublant sur un concept ô combien fluctuant.

Au premier (comme au troisième) coup d’oeil, la singularité du travail de Massimo Giovannini ne peut qu’interroger le spectateur. L’idée de base de ce photographe italien professionnel ? Réaliser deux portraits « genrés » pour chacun de ses modèles, l’un porté vers la féminité, l’autre vers la masculinité.
Le fond est neutre, les expressions des visages aussi. Pas d’accessoires, pas de vêtements, pas de bijoux – rien qui pourrait distraire ou influencer le regard de celui qui regarde. Pas de Photoshop, pas de montage, pas de retouches si ce n’est les effets de base. Un peu de maquillage, une mèche de cheveux un peu plus travaillée. N’empêche, face à nous, deux portraits à nu, dissemblables – mais formant pourtant un tout.
PAS MON GENRE
Les images mises côte à côte, la question peut brûler les lèvres : le modèle est-il un homme ? Une femme ? A travers son travail, Massimo Giovannini nous demande, à l’inverse, si la réponse a, vraiment, au final, une quelconque importance.

« Si un simple éclairage et une transformation superficielle peuvent amener le spectateur à remettre en question sa compréhension du genre, se peut-il que la frontière entre le féminin et le masculin soit en fait plus floue que ce que nous sommes amenés à croire ? Plutôt qu’une vision rigide, sans doute rassurante, de la société, de l’humanité comme une série de dichotomies faciles : homme / femme, hétéro / gay, noir / blanc, ne devrions-nous pas simplement considérer l’identité comme un concept fluide ? »
Et comme c’est justement cette notion de genre qui est, depuis la nuit des temps, à la base de nos rapports sociaux, le photographe prend donc un plaisir certain à brouiller les pistes. Histoire de faire passer le message que l’idée traditionnelle de « genre » n’est peut-être pas aussi simple.iste que ça… D’autant que plusieurs pays dans le monde ont déjà adopté la notion de « troisième sexe », de l’Australie au Pays-Bas en passant par l’Allemagne depuis quelques mois.
HORS (DU) CADRE
Massimo Giovannini a eu l’idée du projet Henkō en 2016, lorsque le gouvernement italien a autorisé le mariage pour tous. Un événement historique et pourtant à l’époque, les médias survolèrent le sujet et le pays, terre catholique, resta très #unpapaunemaman.

« Henkō est un mot japonais composé par les kanjis 変 Hen, qui signifie ‘changement’, et Kō, qui signifie ‘lumière variable / inhabituelle’. Plus qu’un mot, c’est le concept d’une lumière changeante qui transforme notre perception des objets qu’il illumine. J’ai senti que ce que j’essayais de faire avec mon appareil photo était précisément de donner un éclairage différent sur un sujet complexe. »
En collaboration avec une amie maquilleuse, Lucia SantorsoLA, Massimo Giovannini pioche alors parmi ses ami.es androgynes pour défendre ses réflexions sur le sujet. Avec, en tête, l’idée d’un double portrait naturel, limité à quelques artifices. « Techniquement, j’ai utilisé une seule lumière à la fois sur le sujet et sur le fond, pendant que Lucia travaillait sur le maquillage. À part quelques retouches visant à adoucir ou à accentuer la pomme d’Adam, aucune image n’a été reprise en post-production… Nous n’avions que l’éclairage, le maquillage et les expressions faciales du sujet pour exprimer le changement de sexe symbolique. »

Autant dire pas grand chose en vérité – pourtant, le résultat est rapidement troublant. « Le défi, en travaillant exclusivement avec des modèles non professionnels, était que les images ne deviennent pas caricaturales, car nous avons vite réalisé que même des changements mineurs dans l’expression ou la pose pouvaient les transformer en dérision. » Neutralité à toute épreuve, on vous a dit.
DIPTYQUE CONTRE DICHOTOMIE
En revanche, c’est clair, le diptyque, c’est son truc à Massimo Giovannini : Henkō est loin d’être la seule série dans laquelle le photographe a utilisé la technique du double. Dans Supermarket, il unit photos d’aliments et mise en scène miniature… Pour Diptych, il joue sur l’association d’idées entre deux images qui n’ont, a priori, pas grand chose à voir entre elles.

Dans la série qui nous intéresse aujourd’hui, les retrouver l’une contre l’autre accentue évidemment le message de Giovannini. Mais lui permet également d’effleurer un autre thème : celui de la véracité des images que l’on nous donne à voir. Pour preuve : quelques jeux de lumière et voilà qu’une notion #simplebasique de notre manière d’exister est complètement remise en cause… Le photographe voudrait-il en profiter pour nous mettre en garde sur les apparences identitaires, donc, mais aussi sur les apparences de manière plus général ? Ça se pourrait bien. D’autant que le bonhomme n’en est pas à son coup d’essai.
HAUT EN COULEURS

Né en 1973 à Trente, dans le Nord-Est de l’Italie, Massimo Giovannini a fait de la photographie publicitaire pendant une bonne dizaine d’années, en parallèle de ses projets personnels. Résolument engagé, « radicalement chic et végétarien », l’artiste utilise depuis toujours l’image comme le moyen d’exposer son point de vue sur le monde contemporain et la société de (sur)consommation.
Dans une amusante biographie sur son site internet, il s’amuse d’ailleurs à jouer au fameux #jaimejaimepas. On y apprend notamment qu’il « n’aime pas le zoom », et « utilise à 90% de l’argentique ». Qu’il « n’aime pas les médias sociaux à usage professionnel » (ça se voit, son Instagram n’est pas très fourni). D’autres infos ? « Je ne prends pas de photos au format 2: 3 (vertical). Mais j’aime le format SQUARE, 4: 3, 3: 4, 6: 7 et 7: 6. Parfois, j’utilise un appareil photo 35 mm mais je recadre les photos… »
Une personnalité haute en couleurs et un talent indéniable qui lui a déjà valu plusieurs prix, notamment celui du jury Lensculture, avec justement, l’une des photos de Henkō (la deuxième présentée dans l’article). Voilà qui boucle la boucle.
