Le monochrome est indémodable. Mais, depuis la généralisation des appareils photos numériques, la couleur est ancrée directement dans les capteurs. Seule une poignée de modèles ont l’audace de saisir directement des images en noir et blanc : Pentax K-3 III Monochrome, Leica M11 Monochrom et Q2 Monochrom, et quelques rares smartphones dotés d’un capteur supplémentaire.
Passer par la couleur, une source de problèmes
Nous l’avons vu dans nos articles dédiés aux capteurs : ceux des appareils photo sont recouverts d’une matrice de filtres colorés. Ils peuvent ainsi détecter rouge, vert et bleu, et donc reconstituer les teintes de la scène. Si vous faites une photo noir et blanc, le capteur prend en fait une image en couleurs, convertie ensuite en monochrome.
Cela pose deux principaux problèmes. Tout d’abord, chaque photosite reçoit environ 1/3 du spectre lumineux. Il ne voit donc qu’un photon sur trois qui lui parviennent. De manière générale, le capteur est donc moins sensible qu’il pourrait l’être.
Ensuite, et plus grave, les capteurs en couleurs sont sensibles au moiré. Celui-ci apparaît lorsqu’un détail régulier (grille, tuiles, rideau…) est projeté sur le capteur à des dimensions proches de ses limites. En termes techniques, on parle de fréquence spatiale d’échantillonnage et du théorème de Nyquist et Shannon. Or, avec une matrice colorée, un capteur échantillonne trois fréquences différentes : celle de ses photosites, celle des filtres verts (un photosite sur deux) et celle des filtres rouges ou bleus (un photosite sur quatre). Il a donc trois occasions de produire du moiré. En particulier, les photosites rouges et bleus étant très éloignés, le moiré dû à ces couleurs est très courant.
Bien entendu, en convertissant l’image en noir et blanc, ces fausses couleurs disparaissent. Mais elles se traduisent par des bandes plus ou moins claires dans l’image finale – un moiré en luminance.
Capteur monochrome : plus sensible et plus juste
Avec un capteur monochrome, adieu la matrice colorée. Chaque photosite capture donc la totalité des photons qui lui parviennent, du violet au rouge. La sensibilité de base est donc supérieure et le bruit numérique apparaît plus tard.
De plus, en n’ayant plus qu’un type de photosites, il n’y a plus qu’une seule source de moiré : celle des photosites eux-mêmes. C’est la plus élevée de toutes les fréquences d’un capteur en couleurs équivalent. C’est donc le moiré le plus rare, qui exige des objectifs d’une résolution extrême et un sujet optimal. Le problème est donc beaucoup plus rare sur un capteur monochrome qu’en convertissant l’image d’un capteur couleur.
Le capteur monochrome offre un autre avantage. Pour limiter l’apparition de moiré, certains capteurs en couleurs utilisent un filtre passe-bas, qui floute légèrement l’image. Il serait beaucoup moins utile sur un capteur noir et blanc. Aussi, à notre connaissance, aucun n’en est doté ! L’image reproduit ainsi parfaitement les textures les plus fines.
Jouer sur les teintes : la faiblesse des capteurs monochromes
Résumons : un capteur monochrome permet de créer des images en noir et blanc plus précises, avec des textures plus fines et des artefacts réduits, dans des conditions lumineuses plus difficile. Est-il donc parfait ?
Évidemment non. Son incapacité à voir les couleurs a une conséquence majeure : l’équilibre des teintes se fait physiquement, à la prise de vue.
Lorsque vous créez une image en noir et blanc à partir d’un capteur en couleurs, vous pouvez jouer sur les différentes teintes pour équilibrer votre image. Typiquement, vous allez pousser le curseur « vert » pour faire ressortir la végétation. Ou bien rehausser légèrement le rouge et réduire le bleu afin de créer un portrait éclatant sur un ciel nuageux.
Filtrer à la prise de vue
Puisque le capteur « voit » en noir et blanc, aucun de ces ajustements n’est possible : l’équilibre des teintes est fixé par sa courbe de sensibilité. Celle-ci est généralement similaire à l’œil humain, avec un pic dans le jaune-vert. Les habitués de l’argentique retrouveront la plage d’un film panchromatique.
Pour modifier l’équilibre des couleurs, vous devrez donc travailler comme en argentique : placer des filtres sur l’objectif. Un filtre orange densifie le ciel et fait ressortir les nuages ; un filtre vert révèle la végétation ; un filtre cyan assombrit la peau, comme une pellicule orthochromatique…
Tout cela n’a rien de très compliqué, mais il faut réapprendre à « voir » en noir et blanc, à interpréter la lumière afin de la travailler dès la prise de vue.
Gestion de la plage dynamique : pas d’erreur possible !
Le dernier point sur lequel les appareils monochromes peuvent poser des difficultés est la plage dynamique. Techniquement, leur base étant exactement la même que celle des modèles habituels, la dynamique est identique. Mais la gestion des hautes lumières diffère.
En couleurs, il est très rare que les trois canaux saturent en même temps. Typiquement, dans le ciel d’un paysage, le canal bleu sature vite, mais le vert et plus encore le rouge conservent des données exploitables. Les logiciels des appareils photo et les fonctions de récupération des hautes lumières des éditeurs d’image s’appuient sur ce phénomène. Divers algorithmes permettent de retrouver de la matière une, deux, voir trois IL au-dessus de la saturation. C’est d’autant plus pratique pour les photos en noir et blanc : les virages colorés dus à ces algorithmes deviennent invisibles !
Mais avec un appareil photo noir et blanc, il n’y a pas de récupération possible. Dès que le fichier RAW sature, le blanc est pur : l’image est « percée ».
Ce problème rappellera immédiatement quelque chose aux argentistes : la différence entre diapositive et négatif. Celui-ci, avec un travail soigneux sous l’agrandisseur, permettait de récupérer des détails sur une plage assez large. En revanche, l’adage disait qu’en diapo, il fallait absolument réussir son exposition à la prise de vue.
Le monochrome numérique, héritier de la diapositive noir et blanc
En résumant, des images extrêmement fines, un rendu des textures époustouflant, mais aussi une sensibilité critique à l’exposition et une obligation de lire la lumière et éventuellement de la travailler dès la prise de vue. Les appareils photo monochromes sont véritablement à leurs cousins habituels ce que la diapositive était au négatif ! Avec tout de même une différence majeure : leur sensibilité accrue, la plage démarrant souvent autour de 200 ISO.
Ils se destinent donc eux aussi aux photographes exigeants, qui savent quel rendu ils souhaitent et comment l’obtenir. Ainsi évidemment qu’à ceux qui veulent apprendre, améliorer leur coup d’œil et leur compréhension de la lumière. À ce titre, les appareils monochromes sont de bons professeurs !
Plus exigeants que les appareils en couleurs, les Leica et Pentax monochromes offrent en revanche un double plaisir particulier. Le premier : soigner plus encore la prise de vue, en jouant réellement sur la physique de la scène plutôt que sur des curseurs logiciels. Le second : redécouvrir les détails, les textures, les dégradés, avec des artefacts réduits au strict minimum et un piqué optimal.
2 Commentaires
Bonjour.
Merci pour cet article qui donne des infos précieuses sur ce capteur NB.
Vous est-il possible de nous donner la courbe de sensibilité spectrale de ce capteur, à l’instar des films NB ? …
Cordialement;
Florian
Bonjour,
il existe plusieurs capteurs monochromes différents :
– le 47 MP plein format du Leica Q2 Monochrom (probablement d’origine Panasonic) ;
– le 60 MP plein format du Leica M11 Monochrom (certainement un Sony IMX455) ;
– le 26 MP APS-C du Pentax K-3 III Monochrome (certainement un Sony IMX571) ;
– et d’autres plus anciens (par exemple le premier Leica M Monochrom, sur base de M9, avait un CCD dérivé du Kodak d’origine)…
Chacun peut avoir une courbe différente, selon sa technologie et les filtres UV et IR installés par son vendeur. En l’occurrence, ni Ricoh-Pentax ni Leica n’ont publié leur courbe spectrale, donc nous n’avons pas ces informations. J’aurais adoré les avoir…