Rédacteur en chef au journal L’Equipe, responsable des productions et des photographes au sein du groupe, Franck Seguin est avant tout un photographe passionné. Totalement autodidacte. Fasciné par les aventures que le monde a à lui offrir depuis toujours… Témoin des exploits de son temps, des records, des audaces – mais également des moments suspendus, hors du temps, hors de tout, lorsqu’il suit les apnéistes au fond des océans. Interview virtuelle catégorie pro.

Rencontre
Vous vouliez déjà être photographe quand vous étiez petit ?
Non, c’est arrivé bien plus tard… Comme tous les enfants j’ai eu plusieurs périodes, mais « aventurier » me tentait bien ! Je voulais vivre des aventures, voyager, faire des rencontres mais surtout sans contraintes pécuniaires ;-)) !!!
Comment la photographie s’est-elle imposée dans votre vie ?
Ce fut un coup de foudre vers l’âge de 15 ans, j’avais un beau-père photographe amateur. C’est lui qui m’a initié à la prise de vue, qui m’a appris les réglages, le cadrage, les pellicules, le labo photo… J’ai trouvé ça magique, mais je ne pensais pas encore en faire un métier.

A la base de tout, c’est vraiment la photo, ou la soif d’aventure qui vous a poussé dans ce chemin ?
Les deux mon général ! Quand la photographie s’est emparée de moi, j’étais en pleine réflexion « que vais-je faire de ma vie ». Le désir de vivre des aventures me taraudait, et j’ai trouvé là un moyen de combiner ces deux préoccupations premières…
Quel a été le déclic dans le choix de cette carrière ?
A 17 ans, je me suis engagé dans la Marine Nationale, la camaraderie, l’entraide, tout ça, j’ai adoré ! Mais la hiérarchie j’ai détesté, j’étais trop indépendant, un peu artiste dans l’esprit… Alors à 20 ans je suis retourné au lycée pour passer mon Bac, mais j’ai très vite su que je ne serais pas un étudiant modèle, et j’ai laissé tomber. Et puis vers 25 ans, quand j’ai repris la photographie sérieusement, j’ai vu que les gens autour de moi s’intéressaient à mon travail, alors je me suis lancé !

Quel rapport entretenez-vous avec le sport ?
Ce qui m’intéresse d’abord et avant tout, c’est la photo. Je suis évidemment un grand aficionado de la chose sportive… Mais ma passion c’est « la photo de sport » plus que le sport lui-même. Dans ma jeunesse, j’ai pratiqué le judo et la natation à un bon niveau régional à Dunkerque, ma ville de naissance. Aujourd’hui, Je continue de nager et de plonger mais de manière plus épisodique qu’avant, je le fais plus pour le travail que pour m’entretenir. J’essaye de garder la forme.
Qu’est-ce qui vous fascine dans ce genre précisément ?
J’ai souvent hésité entre la photo de sport et l’actualité sociétale ! C’est le sport qui m’a finalement séduit pour la fréquentation des (grands et petits) champions, pour la beauté des gestes, les histoires humaines et l’esthétique du cadre sportif. C’est une photographie exigeante et complète. Vous y pratiquez le portrait, le reportage, la couverture de grands événements de toutes sortes comme Roland Garros, les JO ou les coupes du monde… C’est vraiment très excitant et ultra formateur. Je peux être en one to one avec Usain Bolt ou Tony Yoka puis dans un stade de foot où jouent Mbappe, Neymar, Ronaldo ou Messi devant 50 000 personnes, faire les Jeux Olympiques, être sur le pont d’un bateau pour une course de voile, dans un hélico, sous l’eau avec le champion du monde des apnéistes, ou en train de réaliser un reportage sur les All Blacks en Nouvelle Zélande. Tu rêves les yeux ouverts en quelque sorte, l’idéal pour quelqu’un comme moi.

Quel est le moment le plus fort dans votre parcours au sein de L’Equipe ?
Il y a trois ans, lorsque je suis devenu le rédacteur en chef du service photo, tout en restant un photographe actif au sein du journal. C’est beaucoup de travail et de responsabilité mais c’est passionnant ! J’anime une équipe de photographes expérimentés et je travaille avec des gens qui sont habités par la même passion que moi, c’est plutôt pas mal comme occupation.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser à la photo subaquatique ?
Quand j’étais ado, la Calypso et l’équipe Cousteau me fascinaient, je voulais devenir photographe ou caméraman au sein de cet équipage, j’habitais un bord de mer aussi, ça a commencé là ! Vers l’âge de 16 ans, j’ai passé des diplômes de plongée, je faisais de la natation, tout était déjà dans un coin de ma tête. Mais cela a vraiment pris forme en 2000 aux JO de Sydney, quand j’ai proposé au patron de l’agence Tempsport de mettre un boîtier photo en télécommande dans le bassin olympique, directement sous l’eau – seul un Américain de Sports Illustrated le faisait à l’époque. Cela a très bien marché, le virus était contracté… Une autre grande aventure a débuté.

Comment a débuté le projet et l’histoire avec l’apnéiste Guillaume Néry ?
Au début des années 2000, j’ai commencé à fréquenter le club très fermé des apnéistes profonds, notamment Loïc Leferme (record à -171m). Guillaume Néry était le jeune surdoué de cette bande du CIPA de Nice. En 2015, après l’accident qui a failli lui coûter la vie au cours du championnat du monde d’apnée à Chypre, je lui ai raconté mon projet de « tour du monde de l’apnée », à la manière des surfeurs qui cherchent des vagues inédites. Nous avons listé des destinations, j’ai écrit un synopsis de livre et Guillaume a écrit un scénario de court métrage #OnebreatharoundtheWorld, et nous nous sommes lancés avec nos propres deniers. Nous étions persuadés d’entamer une nouvelle aventure palpitante. Le résultat, A plein souffle paru aux éditions Glénat en janvier 2019, nous a donné raison.
Psychologiquement, on sort comment d’un projet comme celui-là ? Epuisé, vidé mais comblé et regonflé à bloc.

Dans ce projet, l’important à prendre en image c’était plutôt la performance sportive, la découverte d’un monde méconnu, l’exploration d’une biodiversité en danger… ?
La performance physique est présente mais ce n’est vraiment pas le propos. Le but avoué est de montrer un homme qui marche sous l’eau, à la découverte d’un monde sous-marin méconnu mais magnifique. Une planète liquide qui recouvre les ¾ du globe, dont il nous reste tant à découvrir et qu’il faut respecter et protéger ! Donner à voir de la beauté pour déclencher un réveil des consciences.
Côté technique, comment on prépare une séance sous-marine ? Quelle est la part d’improvisation ? Qu’est-ce qui diffère, techniquement, dans la préparation d’un reportage photo sportif « classique » ?
Ce qui diffère, c’est l’eau. Les éléments naturels comme les courants, le froid, la chaleur, le vent, la profondeur, les vagues, les animaux, ce genre de choses qu’il faut maîtriser en même temps que vous photographiez… Tout est plus compliqué de ce fait, le déplacement, le placement, la lumière, la technique, la prise de vue, la communication avec l’autre. Il n’y a pratiquement pas d’improvisation sauf en cas de situation compliquée soudaine. Nous nous mettons d’accord avant la mise à l’eau sur ce que nous allons faire et comment nous adapter aux conditions du jour. La complicité entre nous fait le reste.

Avec quels appareils travaillez-vous habituellement ?
Je travaille avec Canon depuis toujours. Pour la photo sous-marine, je mets mes boîtiers et mes objectifs dans des caissons étanches, j’utilise principalement le 5D Mark IV et parfois le 1DX Mark II avec les objectifs 16-35 mm f/2.8 ou 24 mm f/1.4 ou 14 mm f/2.8. Pour la photo terrestre d’action sportive, j’utilise le 1DX Mark II avec une panoplie d’objectifs qui va du 16-35 mm f/2.8, 24-70 mm f/2.8, 70-200 mm f/2.8 et 200-400 mm f/4, 500 mm au 600 mm f/4, et pour le portrait le 50 mm f/1.2.
Sur quels critères avez-vous choisi votre matériel pour les reportages subaquatiques ? Vous vous y connaissiez en matériel photo de plongée ou il a fallu apprendre sur le tas ?
J’ai appris sur le tas, j’ai fait des essais avant de choisir ce qu’il me fallait pour bien travailler… Le poids et l’encombrement sont des paramètres importants, être souple et léger c’est primordial. Techniquement maintenant, ce n’est plus très compliqué, le matériel numérique permet de travailler sans flash presque tout le temps. Et pour chaque boîtier, il y a un caisson étanche qui lui est propre. A l’époque en argentique la technique était plus complexe et finalement assez incertaine.

De manière générale, quelle est l’étape que vous préférez dans la réalisation d’un shoot ?
J’aime bien penser à une image longtemps à l’avance. Imaginer un cadrage, une lumière, une situation, pouvoir la réaliser et la voir imprimée dans un journal, un magazine ou un livre… Même si j’adore voir les photos sur les écrans, le rétroéclairage de l’outil rend la photo plus présente, plus belle, je trouve.
Est-ce que vous faites beaucoup de retouches ?
Non, je n’en fais pas énormément mais la post-production est nécessaire sur les photos sous-marines car les clichés sont bruts sur nos boîtiers numériques. Au journal, par contre, toute retouche est interdite, nous sommes photojournalistes avant tout et c’est l’info qui prime.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je ne manque pas de travail car en ce moment se déroulent la coupe du monde de rugby au Japon, les championnats du monde d’athlétisme à Doha, les championnats du monde de cyclisme en Grande Bretagne… Le championnat de football de Ligue1 est en pleine effervescence avec le PSG constamment au cœur des débats. Côté apnée, je prépare une rencontre dans les eaux polynésiennes entre Guillaume Néry et un jeune apnéiste français très prometteur, Arnaud Jérald, qui à 23 ans a déjà un record du monde en bi-palmes à -108m, stratosphérique !
Le mot de la fin ?
Une photo plutôt qu’un mot…
